Le 21 avril 1906, le jeune Émile Roux arrivait à Saint-Nazaire après un long voyage à pieds, en patache et en train depuis le hameau de Rioclar, commune de Revel. Il devait continuer son voyage en embarquant à bord du paquebot transatlantique « La Navarre » à destination du Mexique.
Comme des centaines de jeunes gens de la vallée de l’Ubaye, et d’autres contrées des Basses Alpes, il était le cadet de famille désigné pour aller chercher, sinon fortune, du moins de l’aisance dans différentes activités commerciales, à la suite de leurs ainés partis dés le milieu du XIX° siècle. Avant de s’embarquer, il écrit cette carte postale à ses « chers parents », certainement le cœur serré, et leur adresse un « adieu » qui sonne comme un soupir d’abandon au destin. Mais en même temps, l’on perçoit comme un espoir d’avenir meilleur grâce à ce bateau qui va le « changer de pays ». Il commencera en effet une carrière dans le commerce de tissus, reviendra quelques fois dans sa famille avec quelque pécule mais mourra célibataire au Mexique dans les années 1920 à moins de 40 ans.
Sortie des archives familiales il y a peu, cette simple carte postale apporte de nombreux témoignages.
Elle réfère à la saga de l’émigration des Ubayens et Bas Alpins au Mexique. Mais elle rappelle que pour ces aventures il y a toujours eu un premier pas à faire : quitter sa vallée, aller jusqu’aux rivages de l’Océan que l’on voit certainement pour la première fois et embarquer à bord d’un immense navire de fer, pour une navigation de plusieurs semaines. Il n’y a que la premier pas qui coûte, et l’on peut imager combien il a du être difficile. Combien de nos contemporains refusent de changer de région pour trouver un meilleur emploi ? Combien hésitent à se confier aux ailes d’un avion ?
Retrouvée dans des cartons, avec des centaines d’autres cartes postales, de provenances et d’auteurs les plus divers, mais toutes écrites avec de belles écritures de pleins et de déliés tracées à la plume, elle témoigne d’une époque, d’un mode de vie, d’un système scolaire.
La carte postale est à cette époque ce que sont les téléphones mobiles et les SMS et MMS d’aujourd’hui, un moyen de communication rapide, simple et néanmoins explicite. Mais que restera t’il pour nos descendants de ces coups de fil « t’es où là? », entendus mille fois dans les transports en commun, de ces SMS « Pri bato, A+, Biz » ?
Les cartes postales de nos parents sont enfin une source d’une extrême richesse pour reconstituer l’histoire familiale, mais il faut les lire recto et verso. D’abord parce que l’illustration du recto est souvent aussi un message en soi – ici le bateau imposant et puissant a du impressionner les parents, mais les deux adolescents du premier plan, paisibles et gais, rassurent. Ensuite parce que le texte, vous l’aurez observé sur d’autres cartes, entamé au verso déborde souvent au recto. Vieux réflexe de bas-alpins habitués à l’économie où habitude de l’époque ? Une époque dans laquelle le souci de l’économie, ou à tout le moins le gaspillage était une faute.
Pouvons nous imaginer quel effet à pu produire l’arrivée de cette carte postale dans la ferme familiale ? Et les suivantes montrant la ville de Mexico, les paysages et les populations de ce bout du monde ?
Jean-Claude Allard