Quelques notes sur la conférence de Christian MORZEWSKI sur Jean GIONO du 4 mai au Centre Premier HSBC.
Christian MORZEWSKI, professeur en langue et littérature française contemporaine agrégé de lettres modernes, préside l’université d’Artois. Spécialiste du roman français de l’entre-deux-guerres et des questions de régionalisme littéraire, il est l’auteur de plusieurs ouvrages et études sur les romanciers français du XXème siècle et sur le roman contemporain. Il est rédacteur en chef des Cahiers Giono, et a assuré l’édition critique de différentes œuvres de Giono, Bosco, Ramuz dont il a édité les derniers romans dans la Pléiade. Il a organisé plusieurs colloques internationaux (dont cinq à l’université d’Artois et un en Chine, à l’université de Nankin) sur Albert Camus, Maxence Van der Meersch, Richard Millet…
Giono, conteur
Jean Giono (1895-1970) s’apparentait à un conteur oriental (selon André Gide, si l’on avait créé un concours d’audience en racontant des histoires, c’est bien Giono qui l’aurait gagné). Giono possédait une vraie puissance d’affabulation, de fabulation ; Il a été ce « menteur magnifique » qui a inventé une recette de cuisine totalement improbable. Ce talent de conteur lui a valu plus d’un déboire. « L’homme qui plantait des arbres », emblème écologique avant l’heure, traduit bien la puissance de la parole et du récit chez Jean Giono. Jean Giono l’a écrit dans le cadre d’une commande du Reader Digest autour du thème «l’homme le plus extraordinaire que j’ai jamais rencontré ». L’ouvrage rencontre un immense succès. Le Reader Digest fait une enquête sur l’existence de Elzeard Bouffier. Giono livre des détails dont un enterrement à Banon, le Reader Digest voit d’un mauvais œil que Giono ne se soit pas conformé à la demande en racontant l’histoire d’une véritable personne. Pierre Citron son grand biographe raconte le double contrat d’édition Gallimard/Grasset.
Déni de Provence
Jean Giono entretenait un déni de la Provence et écrivait « J’aime ce pays qui ne me convient pas ». Il aurait aimé vivre en Ecosse pour la pluie et la brume. Il n’aimait pas le mot « Provençal » et tout le champ lexical qui l’accompagne : lavande, pastis, cigale. Ce vocabulaire est d’ailleurs absent de ses textes. On ne parle de lavande dans que « Le Grand Troupeau » (1932) pour indiquer que l’essence de lavande servait à dégraisser les obus. Caractère qui l’oppose bien sûr à Pagnol et Mistral. Giono considérait cette exaltation de la Provence un peu ridicule et superficielle. Jean Giono a entretenu des rapports difficiles avec Pagnol, suite notamment à des emprunts peu élégants (Angèle/ « Un de Beaumugnes » , « La Fille du boulanger »).
Les origines
Jean Giono est d’une origine sociale modeste. Il doit quitter l’école très tôt pour devenir chasseur (coursier) au Comptoir d’Escompte de Manosque. Avec les deux sous que lui donne sa mère par semaine, il ne peut s’acheter les ouvrages trop coûteux des contemporains. Et pourtant, il lit tout et surtout les classiques en éditions bon marché. La bible notamment, dans laquelle il voit davantage un livre d’histoires et de mythologie qu’un ouvrage religieux. Son grand Père, Jean-Baptiste, était Carbonaro. Il a fui l’Italie comme Angelo dans le « Hussard sur le toit ». Jean adopte dans ses premiers ouvrages la posture du protecteur guérisseur. Au cours d’une convalescence à Corbières il découvre le panthéisme, la proximité entre l’homme et la nature.
Tenir la guerre à distance
Jean Giono va connaître la terrible expérience de la boucherie de Verdun. Parmi les écrivains, il est probablement celui qui a vraiment vécu l’enfer des tranchées, le chemin des Dames, les gaz, les mutineries, Nivelle… et paradoxalement il ne fera pas profit littéraire de la guerre comme ont pu le faire Dorgelès ou Barbusse.
Jean Giono est antimilitariste, c’est un pacifiste. Il revient de la guerre traumatisé. Il précise bien qu’il n’a tué personne (comme mon père ndlr). Il va exorciser cette violence dans « Un roi sans divertissement », « Les âmes fortes », qui font figure de catharsis dans son œuvre immense.
L’incompréhension
Au Contadour, avec 50 personnes, des ouvriers parisiens, des intellectuels, Jean Giono découvre les Vraies Richesses. Il se prend au sérieux, se fait piéger dans un pacifisme extrême. René Char a dit « Le Gionisme est la maladie de ceux qui ont la Gionisse » Jean Giono croit dans le pouvoir de la parole pour éviter le pire, et sera mal entendu. L’incompréhension, et quelques maladresses (publication dans la Gerbe des « Deux cavaliers de l’orage », un reportage sur Jean Giono dans Signal), lui vaudront des ennuis après la Seconde Guerre Mondiale. Il va être incarcéré à Marseille, 8 mois à Saint Vincent les Forts. Gide a déployé tous ses efforts pour le faire libérer. Jean Giono publie « Un roi sans divertissement », « Mort d’un personnage », le cycle du Hussard. Aragon en fera interdire de publication. Son dernier roman sera « L’iris de Suse ».
Marie-Hélène Moittier
Voici quelques images de la journée du 28 juillet lors des Rencontres Giono à Manosque.
http://www.livre.alpes-haute-provence.fr/rencontres-giono-2011-expo-jacques-manosque/